La
première de cette série de rencontres a lieu chez Antonio. Par la porte
entrebâillée, une dame un peu méfiante nous informe que son mari n’est pas là,
qu’il est allé faire sa tournée du voisinage. Nous hésitons à patienter quand
l’homme surgit. Jeune retraité à l’œil vif et à la démarche assurée, Antonio
nous offre café et pâtisseries, puis se lance.
Arrivé
avec sa femme en 1960, arraché par l’indigence à sa Campania natale, Antonio
habite sa maison de l’est de Villeray depuis 47 ans. Sa rencontre avec ce pays
de neige, au terme d’une traversée de 12 jours, est d’abord marquée du sceau du
déracinement. Comme nombre d’immigrants d’alors et d’aujourd’hui, ce fils de
paysan ne parle ni français ni anglais, ne connaît pas les mœurs du pays, n’a
que sa fougue et son audace comme seules ressources. C’est d’abord par le
travail que se fera son intégration. Soucieux de gagner les moyens de subsister
et de fonder une famille, Antonio tisse des liens au sein de la communauté
italienne. Sa femme et lui travaillent d’abord dans les fermes du nord de
l’île. L’autobus vient les chercher tous les matins et les ramène tous les soirs,
après de longues journées de travaux agricoles pour lesquels ils se méritent 1$
l’heure. Les relations d’Antonio dans la communauté italienne lui permettent
bientôt d’obtenir un boulot de serveur dans un café du quartier, puis de
travailler dans une usine de teinture, où il gravit rapidement les échelons, et
où ses premiers véritables contacts hors de la communauté italienne le
conduiront à apprendre le français et l'anglais. Le paysan devenu ouvrier a
maintenant les moyens de bâtir un foyer et de tracer sa marque dans le
quartier.
Dans leur
maison de Villeray, Antonio et sa femme insufflent un peu de cette chaleur
campagnarde, basée sur l'hospitalité, mais d’abord sur la ... cuisine. Ces
pionniers inconscients de l’agriculture urbaine cultivent dans leur jardin
fruits, légumes et herbes aromatiques. L’hiver, le garage devient caveau pour
entreposer les arbustes et les récoltes, ou pour sécher le saucisson et le
prosciutto. Le couple cuisine son pain, ses pastas, ses sauces, avec les
produits du jardin et du Marché Jean-Talon. Ce souci de la qualité des produits
et du travail domestique est naturel pour Antonio, qui nous raconte l’avoir
appris de son père. Importé au Québec, cet amour des aliments frais et des
grandes bouffes communes ont du s’adapter aux contraintes du climat, et Antonio
nous assure que son fils, né ici, fait à son tour sa pâte à pizza. Les surplus
de la familia sont distribués chez les voisins, les commerçants,
jusqu’au Carrefour St-Michel, organisme communautaire du quartier qui réunit
les résidents autour de repas communs et
où la cuisine est d’abord prétexte aux rencontres et aux échanges.
Fort de
son parcours unique, Antonio a développé une manière créative d’encourager un
esprit de communauté dans son voisinage en occupant le rôle de gardien du
quartier. Tous les jours, il marche sur les rues avoisinantes pour
rencontrer chaque habitant de ce coin du quartier. Personne ne semble ignorer
qui il est, du moins lui les connait tous et leur rend divers services. Il
conserve les clés de plusieurs appartements et surveille les logements lorsque
leurs locataires s’absentent pour plusieurs jours. Il raconte avec fierté être
intervenu lors d’une inondation au deuxième étage d’un immeuble, soutenant que
tout aurait été ruiné sans son intervention. Dernièrement, une agression a eu
lieu dans le voisinage et le gardien est allé avertir chaque famille de
ce qui s’était passé pour leur conseiller d’être vigilantes.
Antonio,
par les liens continuels qu’il entretient avec ses voisins, permet au quartier
de se raconter et du coup lui donne un surplus d’existence. Il agit comme une
courroie assurant le partage des histoires et des enjeux quotidiens qui permet
la constitution d’un sentiment d’appartenance et l’augmentation de la confiance
partagée entre les gens. En outre, cette création d’un espace de dialogue et
d’échange permet une transmission d’informations qui peut mener à une plus
grande implication dans les enjeux à plus grande échelle.
Le
nouveau retraité utilise cette opportunité pour faire circuler des pétitions,
publiciser des manifestations ou encore encourager les discussions sur les
enjeux du quartier. Lors de notre visite, il s’intéressait particulièrement au
projet de construction d’une usine de compostage dans l’ancienne carrière
Miron. Il veut s’assurer que les citoyens aient leur mot à dire sur le
réaménagement de cet espace. La présence de ce réseau au cœur du voisinage
illustre comment une conscience commune peut naitre de la préoccupation de
quelques citoyens pour la vie de leur voisins. La mobilisation d’une communauté
se fait lentement et de manière continue. Elle nécessite d’abord un réseau de
connaissances fort qui garantit le partage d’informations et le renforcement
des repères. Une fois ce réseau créé, la réactivité de la communauté est plus
forte et l’entraide plus facile.
Ce qui
nous marque d’abord de l’histoire d’Antonio est l’importance du respect du
rythme dans le processus migratoire et plus particulièrement dans celui
d’intégration à la société d’accueil. En laissant le temps aux personnes de se
sentir accueillies et incluses dans la société, sans les contraintes qui trop
souvent entravent le processus, leurs multiples compétences pourront se
développer en initiatives bénéfiques et créatives pour la société. Son histoire
permet également de voir les avantages et les ressources que peut amener la
communauté d’origine pour l’intégration des nouveaux arrivants, incluant des
possibilités d’emplois et de soutien. Avant de craindre la ghettoïsation, il
est pertinent de se pencher sur les apports que ces relations peuvent
représenter. En analysant la singularité de son parcours, nous voulions
également permettre une initiation à la diversité des réalités des personnes
migrantes et ouvrir la porte à la déconstruction de certains préjugés.
Tout en demeurant méfiants envers la généralisation et la rigidité d’un discours «culturaliste», nous avons le sentiment que le bagage culturel propre à chacun, loin de conduire nécessairement au repli, est en fait la condition nécessaire au déploiement de ses forces et désirs, pour autant que lui soit reconnue cette singularité, et que la curiosité prélude aux échanges, puisque la vie est avant tout une histoire de rencontres.
Merci pour cet article qui nous fait découvrir les belles âmes du quartier :)
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